Wiki La Grande Bibliothèque des Explorateurs
Advertisement

Par Taléon Mythostome

Au cours de sa vie, Yoregg Broute-gazon fut un brigand et une crapule. Il a fait fortune, d'abord en tant que bandit et pillard, puis ensuite en tant que propriétaire terrien et homme d'affaires. Dans toutes ces activités, il a plus que mérité le sobriquet dont on l'avait affublé : Yoregg le Bâtard. Selon tous les témoins, il adorait ce surnom et alla jusqu'à le faire graver sur son tombeau quand sa longue et déplorable existence parvint enfin à son terme. Voici le récit de cette décision.

Yoregg le Bâtard était un des hommes les plus âgés de Vendeaume, mais il était aussi fort et vigoureux qu'un homme deux fois moins vieux. Il possédait beaucoup des boutiques et des étals de la ville, ainsi que la taverne, les étables et la plupart des fermes au-delà des murs ouest. « Posséder » n'est peut-être pas le bon mot. Yoregg exerçait sur ses terres la même autorité qu'un thane ou un jarl sur son domaine. Si vous travailliez pour Yoregg, il vous traitait à peine mieux qu'un serviteur ou un esclave, et s'il vous baillait un terrain, il s'assurait que vous vous comportiez comme un humble vassal en son illustre présence.

En d’autres mots, c'était une vraie saloperie.

Tandis que Yoregg continuait à consolider sa fortune et à terroriser les gens qui lui étaient redevables, il commença à faire bâtir son tombeau. Il choisit un lieu loin au sud-est, dans la région où il commença à faire fortune en tant que bandit et pillard, dans son très jeune âge. La vieille cachette qui lui servait alors de quartier-général en ces jours de pillages et de butin était située dans une série de grottes abritées par les montagnes qui séparent le sud d'Estemarche de la Brèche. Il engagea une talentueuse spécialiste de la pierre taillée, Shreg Doigts-de-pierre, pour faire de ces cavernes sans ornement une sépulture adaptée pour le Bâtard. Elle fut à la hauteur de la tâche.

Quand Yoregg voyagea jusqu'au tombeau pour voir ce que Shreg avait accompli, il commit l'une des rares erreurs magistrales de son existence. Une erreur qui allait lui coûter cher. À la vérité, Shreg entretenait de la rancune à l'encontre du Bâtard. Bien entendu, tous ceux qui le rencontraient finissaient par lui en vouloir, entretenir de la rancune ou avoir carrément envie de lui planter une hache dans le crâne tant cet homme était odieux. Mais la rancune de Shreg était personnelle et profondément ancrée.

Yoregg avait pressé les parents de Shreg de leur or pendant des décades, alors qu'ils s'éreintaient au travail sur les terres de la ferme qu'il leur louait. Elle se souvenait du point auquel ils avaient souffert, mais s'étaient rarement plaints. Elle se souvenait aussi que le moindre sou qu'ils gagnaient partait dans la poche du Bâtard pour éponger leur dette. Mais ce n'était jamais assez. Et quand sa mère tomba malade, Shreg n'a pu que regarder Yoregg et ses gros bras jeter sa famille dehors sans cérémonie car elle n'était plus en mesure de faire les versements habituels. Ce jour-là, elle jura de trouver un moyen de faire souffrir le Bâtard.

Yoregg était enthousiasmé par le travail accompli par Shreg sur son tombeau. Il était royal et vaste, et il flattait son égo démesuré et à sa vanité. Il adorait le dais surélevé et l'autel qui servait de point de focalisation à la chambre funéraire principale, et les hauts plafonds donnaient au lieu une sorte de majesté qui satisfaisait la soif de grandeur du Bâtard. « Bien ! » déclara-til, « Ce sera parfait. »

Shreg mena l'homme jusqu'à un sarcophage de pierre ciselée ouvert qui se tenait dressé contre un mur. « Voulez-vous bien y entrer, monseigneur, » demanda-t-elle aussi innocemment qu'elle pouvait, « afin que je puisse prendre des mesures précises ? » Yoregg sourit. Il avait hâte de se placer dans la bière de pierre ornée. Mais c'était encore un homme imposant, même à son âge avancé, et l'intérieur du sarcophage était étroit et un peu juste.

« Insistez un peu, monseigneur. » dit Shreg, poussant une de ses épaules. Enfin, après un bref effort et quelques judicieuses contorsions du vieillard, elle put refermer le lourd couvercle de pierre du sarcophage.

« Comment vous sentez-vous, monseigneur ? » demanda-t-elle sur un ton mielleux.

« C'est un peu petit, » admit-il. « Et très sombre. »

« Tout comme votre âme, monseigneur » cria-t-elle pour être sûre qu'il pourrait l'entendre à travers la pierre.

« Je vous demande pardon ? Qu'avez-vous dit ? » Demanda Yoregg. Et dans sa voix s'entendaient la confusion et la colère, ainsi qu'une pointe de peur naissante.

« Voilà pour mes parents, sale bâtard, » déclara Shreg alors qu'elle scellait le couvercle du sarcophage. « Profitez bien de votre repos éternel, monseigneur. »

Shreg entendit les cris du bâtard faire écho dans les chambres funéraires tandis qu'elle sortait du tombeau. Elle espérait qu'il lui faudrait très, très longtemps pour mourir.



Advertisement